Placide Nicod, 1876 – 1953

Le Dr Placide Nicod, natif de Bottens dans la campagne vaudoise, est une personnalité qui a marqué son époque. Ce pionnier de l’orthopédie moderne, formé par César Roux, se rendit rapidement compte de l’importance que pourrait avoir l’acte chirurgical dans le traitement orthopédique.

En dépit du monopole que prétendaient exercer les chirurgiens, il parvint, à l’instar d’autres pionniers européens, à force de ténacité et grâce à ses réussites successives, à faire reconnaître l’autonomie de cette spécialité chirurgicale.

Sa renommée attirera une clientèle nombreuse venue également de pays étrangers. Sous sa direction, l’Hôpital orthopédique de la Suisse romande acquit un grand prestige.

Cet éminent médecin, qui exerça à Lausanne à une époque où cette ville était dénommée “Mecque médicale”, était un être multidimensionnel chez qui prédominaient la droiture et la bonté.

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Réalisations de Placide Nicod

Commentées par son fils Louis Nicod, oct 2004

Placide Nicod était une personnalité hors du commun. Son père Gustave Nicod, propriétaire terrien, possédait à Bottens le domaine dit du Château qui avait appartenu à la famille Panchaud de Bottens, puis par la suite à François-Nicolas Longchamp (1733-1809 petit-fils de Marie-Thérèse Panchaud). Ce personnage avait été député et membre du Petit-Conseil.

Marie Chiffelle (1841-1898), épouse de Gustave, était la petite-fille de François-Nicolas Longchamp. Gustave a cultivé son bien avec des fermiers. Plusieurs de ses enfants ont fait des études secondaires voire universitaires.

Gustave NIcod (1837-1885) décède alors que Placide n’a que 9 ans. Celui-ci avait pu faire des études secondaires à Fribourg et à Einsiedeln. Mais au moment d’entreprendre ses études universitaires, une catastrophe financière survient, un beau-frère de Placide fait faillite. Marie, veuve de Gustave, voulant sauver l’honneur de la famille, verse aux créanciers 100’000 francs or pour les dédommager de leurs pertes.

Le domaine de Bottens est partagé ; deux frères de Placide l’exploitent en tant qu’agriculteurs. Un autre frère s’occupe de la gestion de la cave à Echallens. Ce fut le début des déboires de Placide.

Pour financer ses études universitaires à Genève et Lausanne, Placide donne des leçons de latin à des gymnasiens. De 1887 à 1900 il s’engage à l’Hospice Orthopédique à l’avenue d’Echallens (villa Chantilly) comme assistant du Dr Perret à raison de deux heures par jour. Cette occupation lui assure gîte et pension. L’Hospice était une pension de famille pour enfants handicapés. Le directeur, monsieur Henri Martin, fondateur de l’institution en 1876, n’était pas un médecin mais porteur d’un diplôme vaudois d’orthopédiste. Il traitait ses malades par manipulations articulaires, appareillage, et autres moyens conservateurs. Il était compétent car il avait appris les méthodes de Venel par son père médecin.

Après avoir obtenu son diplôme de médecine en 1901, Placide Nicod fait des stages de formation chez les professeurs Combe (médecine), Paul Demiéville, policlinique, et César Roux (chirurgie).

A la fin de sa période d’assistant en chirurgie, César Roux le grand patron l’appréciant lui propose d’assumer le poste de chef de clinique tenu jusqu’à lors par le Dr Clément nommé chef de service de chirurgie à l’hôpital cantonal de Fribourg, mais à une condition que Placide s’installe par la suite à Sion. Celui-ci ravi accepte, mais avec un esprit correct désire solliciter l’accord de sa fiancée. Celle-ci ne veut pas vivre à Sion. Placide fait part à son patron de la situation. César Roux, dont la politique était de chapeauter toute la chirurgie du canton de Vaud, voulant éviter toute concurrence locale, le prie de quitter le service. Sa déception fut très grande.

Hospice orthopédique de l’avenue d’Echallens

De 1893 à 1903 surviennent à l’Hospice orthopédique de nombreuses tensions entre Henri Martin, propriétaire de la villa Chantilly, et le professeur Perret qui selon Martin ne connaissait guère l’orthopédie et les méthodes préconisées par Venel.

En 1903, on rappelle Placide Nicod comme médecin adjoint. On attend de lui de précieux services. Celui-ci se passionne pour l’orthopédie et s’acharne au travail. Il s’impose. En 1905, Henri Martin fatigué se retire. Placide Nicod est nommé médecin chef, le premier de l’institution. Martin vend la villa Chantilly à la Fondation de l’Hospice orthopédique. Jean Simon est nommé gérant de l’institution.

De 1905 à 1927, Placide Nicod vit une période de grande difficulté. Désirant opérer ses malades malgré l’opposition farouche de César Roux, avis d’ailleurs respecté par le conseil d’administration, il passe outre à cette interdiction et pratique dans la cave des opérations très simples. La mésentente avec Jean Simon est totale ; il le cafarde lorsqu’il opère. Jaloux de l’importance du médecin, il fait obstacle à toutes les initiatives. Placide estimant nécessaire que ses handicapés aient un traitement journalier, comme Simon ne voulait pas collaborer, il se rend lui-même tous les dimanches à l’Hospice pour appareiller les malades et les faire marcher.

En 1904, il se marie et s’installe comme médecin dans un appartement au 6 de la rue des Terreaux.

Placide Nicod parfait sa formation de chirurgien orthopédique par de nombreux voyages d’études à l’étranger : Lyon, Paris, Berlin, Milan, Bologne, Berck-sur-Mer et Heidelberg.

Clientèle privée

La clientèle orthopédique fréquentant le cabinet privé s’accroît rapidement. Placide Nicod opère et hospitalise ses malades, enfants et adultes, à la clinique Bois Cerf, tout en consacrant beaucoup de temps à l’Hospice orthopédique.

En 1912, il construit un immeuble à l’avenue de la Gare qui dispose, en plus de son appartement et de ses locaux de consultation, d’un institut de physiothérapie pour la rééducation de ses malades atteints d’affections congénitales ou acquises et plus particulièrement ceux atteints de séquelles de poliomyélite, ceux-ci étants dans la plupart des pays laissés pour compte. Placide intervient positivement par la physiothérapie, l’appareillage, les opérations. Reconnu comme novateur pour le traitement des séquelles de poliomyélite, les handicapés affluent de partout de Suisse, de France, d’Italie et même d’Amérique du Sud.

De 1912 à 1953, les 80 lits de la clinique Bois Cerf sont occupés en grande partie par ces malades. Le public l’appelle la clinique Nicod.

Hospice orthopédique à Montagibert

Dès 1925, le conseil d’administration de l’Hospice orthopédique, vu le succès de leur médecin chef, décide de construire un hôpital, non seulement pour enfants mais aussi pour adultes. L’Hospice sera doté d’une salle d’opération (malgré l’opposition du service de chirurgie), d’un service infirmier confié aux sourciennes, d’un institut de physiothérapie et kinésithérapie active identique à celui de l’avenue de la Gare. Ultérieurement, l’hôpital cantonal de Lausanne et l’hôpital des Cadolles à Neuchâtel s’en inspirent et s’équipent partiellement avec les appareils du même type. Actuellement tous les instituts fitness sont dotés d’appareils conçus selon ce principe avec des matériaux modernes.

L’Hospice orthopédique de Montagibert ouvre ses portes le 30 juin 1927. Cette période de 20 ans est très heureuse pour Placide. 1947 est la date de sa mise à la retraite.

On y traite des enfants atteints de maladies congénitales, de déformations acquises, de maladies de Little, d’enfants et adultes souffrant de séquelles de poliomyélite, de tuberculose osteorticulaire chronique, de paraplégie, d’arthrose articulaire, de séquelles de traumatologie.

La carrière académique de Placide Nicod se poursuit. Privatdozent dès 1913, il est nommé en 1931 professeur extraordinaire d’orthopédie, puis professeur de physiothérapie. Il fond une école cantonale de massage en 1936. Doyen actif de la Faculté de médecine, de 1942 à 1944, il se donne entièrement au projet de construction d’une nouvelle école de médecine ; cet objectif ne s’est réalisé hélas qu’après son départ à la retraite.

Association des paralysés

A l’avenue de la Gare est traité en 1925 un français du nom d’André Trannoy ; il est atteint de séquelles très graves de poliomyélite. Cette une personnalité très charismatique ; il est profondément attaché à son médecin. Il organise pour les malades de l’avenue de la Gare et de la clinique Bois Cerf une association pour paralysés appelée « Amicale ». Il faut que ceux-ci se connaissent, s’entendent et se rendent service. De nombreux malades s’inscrivent ; il recrute aussi des membres à l’Hospice orthopédique.

1939 c’est la guerre, il fonde alors l’association des paralysés de France qui a une influence considérable dans l’hexagone : création de nombreux foyers de polios, camps de vacances, il obtient de l’Etat français de nombreuses améliorations législatives en faveur des handicapés.

1942, les relations de la Suisse avec la France sont coupées. Les membres suisses de l’Amicale fondent l’association suisse des paralysés qui crée 9 foyers en Suisse : Plein Soleil à Lausanne, les Eglantines à Vevey, le foyer handicap à Neuchâtel, foyer handicap à la Chaux-de-Fonds, foyer Valais-de-Cœur à Sion, foyer Valais-de-Cœur à Sierre et 3 importantes institutions en Suisse allemande (Wetzikon, Reinach, Gwatt).

Ces réalisations dues à André Trannoy et à ses nombreux amis polios sont liées aux relations affectives qui régnaient entre Placide et ses malades dont l’esprit était confiance, amitié, service.

Office romand d’intégration pour handicapés (ORIPH)

De décembre 1945 à septembre 1947, 306 enfants provenant d’Alsace ont été hospitalisés dans une baraque militaire édifiée sur le site actuel de l’hôpital Beaumont. Ces patients m’ont été confiés pour traitement par la Croix Rouge. Collaborant avec les services de l’Hospice orthopédique dont j’étais médecin adjoint, j’opérais les patients, les dotais de prothèse, les rééduquais par physiothérapie, les scolarisais, mais encore les renvoyais chez eux avec un rapport sur leur orientation professionnelle.

Pourquoi n’appliquait-on pas cette méthode aux handicapés suisses. Un comité composé du professeur Carrard, directeur de l’institut de psychologie, de Mlle Morf, présidente de l’association des paralysés suisses, et de moi-même, se constitue et projette de trouver une solution pour combler cette carence.

En 1947, notre comité présente un projet de réalisation à l’assemblée des représentants de Pro Infirmis suisse. Cette proposition séduit ; elle est jugée nécessaire, l’assemblée décide de poursuivre les démarches nécessaires en vue de créer un Office romand d’intégration pour handicapés.

Le professeur Placide Nicod vient de prendre sa retraite de médecin chef de l’Hospice orthopédique. Il est chargé de mettre sur pied cette mission et de la présider. Pourquoi-lui ?

En 1940, 7 membres de la commission romande de Pro Infirmis se réunissant dans l’appartement de Placide Nicod fondent un service social de Pro Infirmis en terre vaudoise qui fonctionne dès le 1er février 1941. Placide Nicod est nommé président. C’est aussi dans l’appartement de Placide Nicod que se réunissent les membres du comité ORIPH.

Le développement de l’ORIPH dès 1948 est remarquable. Cette institution a construit des immeubles et géré les centres d’orientation professionnelle à Morges, à Pomy, au Pont de la Morges en Valais, à Delémont et Copra à Yverdon.

Le mérite en revient à tous les dirigeants et collaborateurs qui se sont succédés. Je pense que le sens de commandement, le don pratique de réalisateur, l’esprit de service du premier président a été très bénéfique pour la mise en train et le développement de cet office. Son premier successeur était le Conseiller fédéral Bonvin.

Plan religieux

Placide Nicod était croyant. Durant de nombreuses années il a fonctionné comme conseiller de paroisse à Notre-Dame de Lausanne au Valentin et a facilité l’éclosion de nouvelles paroisses lausannoises : St-Rédempteur, St Joseph et Ste-Thérèse.

En 1948, il a offert à la paroisse de Notre-Dame les cloches de l’église malgré l’interdiction de la loi de 1810.

Remarques finales

Placide Nicod a commencé sa carrière dans la pauvreté. Il est un self-made-man. Sa réputation internationale, sa nombreuse clientèle, lui ont permis de faire une belle situation. Comme médecin chef à l’Hospice orthopédique, il consacrait à cette institution environ 18 heures de travail par semaine pour un salaire annuel de 3’600 francs et cela jusqu’à la date de sa retraite hospitalière.

Placide Nicod était doté d’un esprit social, il était au service de beaucoup de causes, il était très bienveillant. Sa qualité maîtresse était la fidélité dans la ténacité de sa vocation médicale, la fidélité à ses malades et la fidélité à son église.