Louis Nicod, 1912 – 2006

Le Professeur Louis Nicod quitte l’enseignement

Le professeur Louis Nicod prononce aujourd’hui sa leçon d’adieu. Près d’un quart de siècle au service de l’enseignement, c’est un fameux bail; quarante-quatre spécialistes FMH en orthopédie et une trentaine appartenant à d’autres spécialités ont été formés par ses soins, des centaines d’infirmières, infirmiers et physiothérapeutes ont bénéficié de ses conseils, des milliers de patients ont profité de sa compétence. L’ensemble de la Suisse romande – puisque jadis les malades de plusieurs cantons faisaient le déplacement de Lausanne pour les soins orthopédiques – lui doit sa reconnaissance.

” Louis n’est pas placide “, disait naguère avec humour une sœur de la clinique Bois-Cerf, en levant les bras au ciel ; l’ouragan Louis Nicod, fils de Placide (qui fut, avant lui et avant le professeur Scholder, le médecin-chef de l’hôpital orthopédique) ne faisait pas le détail quand il entrait dans la chambre de ses patients. Aller à l’essentiel, donc au mal, n’est-ce pas ce qui est le plus important pour ceux qui souffrent ?

L’exemple paternel, qui fut celui d’un père passionné par son métier et sa spécialité, ne fut qu’un encouragement de plus pour le jeune Louis Nicod, encore indécis entre les professions d’architecte et de médecin. ” Le choix n’a pas été trop douloureux, dit-il. La médecine correspondait à mon tempérament. “

La guerre

La médicine ou plus précisément la chirurgie. Quand il obtient son FMH en chirurgie, c’est la guerre; avec la Croix-Rouge suisse, il découvre les terribles résultats des conflits dans les hôpitaux de campagne de l’Est européen.

C’est encore aux victimes civiles de la guerre qu’il consacre à Lausanne la plus grande partie de son temps au sortir de la tourmente. ” Plus de trois cents jeunes mutilés, des Alsaciens, des Lorrains, des Normands, des Hongrois et des Autrichiens, avaient été amenés à Lausanne par la Croix-Rouge entre 1945 et 1947 ; nous les avions installés dans un chalet qui se trouvait sur l’emplacement de l’actuel hôpital de Beaumont. De même, à trois reprises, nous nous sommes rendus en France et en Afrique du Nord pour opérer des mutilés de l’armée française, à la demande conjointe des généraux Guisan et De Lattre ; soutenues par le Don Suisse, ces opérations représentaient une partie de l’aide de notre pays à ses voisins cruellement marqués par le conflit. “

Opiniâtreté

Mais Louis Nicod ne se contente pas de les opérer et de les rééduquer ; il conçoit très vite qu’il est indispensable de les orienter professionnellement. Et cette idée qu’il avait songé à appliquer aux mutilés civils de la guerre, voilà qu’elle est reprise d’enthousiasme par Pro Infirmis ; c’est le point de départ de l’Office romand d’intégration professionnelle pour handicapés.

En 1954, il reprend en main l’hospice orthopédique ; il devine les extraordinaires développements que va connaître cette discipline et, par son opiniâtreté, il réussit à persuader les autorités de le transformer en une clinique universitaire. Les opérations, les consultations et les journées de malades font un bond en avant ; de douze mille à treize mille consultations annuelles à la policlinique depuis 1970 contre 2500 à peine au milieu des années 50 ; plus de 900 opérations contre 200, jusqu’à 40000 journées de malades dans les années 60 contre 2000 en 1957 (mais ce dernier chiffre tend à diminuer).

Satisfaction

Simultanément, la ” clientèle ” de l’hôpital évolue elle aussi ; il y a trente ans, les deux tiers des patients se recrutaient parmi les victimes de la polio. Grâce à Salk et Sabin et à leur vaccin, ce type de maladie a presque complètement disparu. ” Ils ont rendu un service inestimable à l’humanité “, dit Louis Nicod. Les séquelles de la tuberculose ont également été presque éliminées de la liste des fléaux qui accablaient autrefois notre société.

De plus en plus, l’hôpital s’occupe des problèmes liés à la chirurgie de l’appareil moteur : rhumatismes, arthroses, corrections des axes, mise en place d’articulations nouvelles. Les orthèses et les prothèses ont bénéficié de l’apport de techniques et de matériaux nouveaux, à l’instar de l’ostéosynthèse où la métallurgie est venue remplacer avantageusement le plâtre dans la réparation des membres brisés. Dans ce dernier domaine aussi, l’hôpital lausannois n’a de loin pas été à la traîne.

Au moment de partir, quel est le plus grand sujet de satisfaction du ” patron ” ? ” Impossible de dissocier les divers éléments d’un tout, dit Louis Nicod. Je suis fier d’avoir pu tenir mes engagements. Je souhaitais que l’hospice devienne un institut universitaire ; il existe. J’ai tenté de soigner au mieux mes malades et de bien former mes élèves. L’avenir de l’hôpital est assuré de même que l’essor du service orthopédique et de l’orthopédie en général. Que souhaiter de plus ? “

(Propos recueillis par J.-B. Ds)