Marie-Madeleine Nicod, 1904-1936
Premier enfant de Placide et Marie, Marie-Madeleine Nicod, jeune fille remarquablement belle, déclare à sa mère à l’âge de 16 ans qu’elle veut se faire religieuse. Les prières du soir en famille, les convictions religieuses de ses parents, la formation scolaire chez les sœurs de la présentation de Marie à Lausanne et le pensionnat de Nazareth de Fribourg, la lecture de la Revue Etude, l’ont vraisemblablement encouragée à faire ce choix.
Dans les dernières années passées à la maison, elle manifeste une grande disponibilité envers la famille. Courageuse et compétente elle dirige, en automne 1922, à Evian dans le froid et la solitude les travaux de rénovation de la résidence secondaire de ses parents au Bennevy à Evian.
1926-1934
Le fondement religieux de Madeleine c’est le secours aux pauvres. Appartenant à un milieu familial orienté vers la France, sachant qu’à la périphérie de Paris il existe pour des impératifs militaires des terrains non constructibles où des pauvres sans autorisation sont logés dans des baraques insalubres ne disposant ni électricité, ni égouts, Madeleine se sent appelée à s’occuper de ces déshérités. Après l’armistice de 1945, rappelons pour information que la zone en question a été supprimée, des quartiers d’habitation construits, le périphérique et une centaine d’églises érigées.
Le 1er août 1926, elle entre au couvent des Petites Sœurs de l’Assomption, à la rue Violet. Ses parents convaincus de sa vocation, le sont moins quant au choix de la congrégation dont ils craignent l’esprit.
La tristesse de quitter sa famille et son beau pays est une pilule amère dit-elle qui engendre une lassitude du cœur. Ses supérieures la rassurent : « Le salut des âmes sera le fruit de vos sacrifices ». Une nuit de novembre, elle rêve d’être à Evian contemplant le lac à l’heure du coucher du soleil, le clocher de l’église, la Dent d’Oche, compensation dit-elle car elle n’aperçoit de son couvent que cheminées, toits, fumée, rien de beau. N’en parlons plus écrit-elle, c’est donné.
Le 12 septembre 1926 à Grenelle, elle reçoit l’habit de postulante. Au cours de la cérémonie, son frère François, âgé de 6 ans, est invité à faire sa première communion.
En janvier 1927, un bel homme élégant ayant une belle situation qu’elle avait rencontré à Lausanne, veut l’épouser. Il avait appris qu’elle était à Paris, mais dans un couvent. Elle le reçoit avec gaieté et fermeté. Au départ, il tient à lui donner un conseil « ne pas revenir en arrière c’est de l’orgueil ».
Jusqu’en 1934, son activité journalière à Thiais c’est la prière, la visite des pauvres, le nettoyage de leur taudis, les soins aux malades. Il y a des conversions, des baptêmes, des mariages. Je remercie le ciel de m’avoir appelée à un tel apostolat.
Le 24 juillet 1927, elle prononce comme novice pour trois ans les vœux de pauvreté, de charité et d’obéissance. Cela coûte, mais confère à la religieuse un cœur plus grand pour aimer d’avantage. En entrant au couvent elle ne se rendait pas compte du fossé qui sépare la vie du monde de la vie religieuse. Lors des retraites on leur apprenait à ne plus avoir de volonté propre afin d’accomplir tous les sacrifices qu’on leur demandait. Pour se connaître, s’épurer il faut un renoncement total, l’abnégation, en un mot la mort à soi-même.
A sa mère, qui s’inquiète de ses propos, elle déclare être sure de son avenir, elle met sa confiance en Dieu, il ne se trompe pas.
Ce qui dynamise Marie-Madeleine durant les huit années d’activités sociales et religieuses, c’est l’amour de sa famille : elle a placé dans son livre de messe les photographies de ses frères et sœurs, elle leur adresse chaque jour » un Bonjour et un Bonsoir « , elle les regarde, leur sourit, les embrasse et les arrose parfois de larmes bien salées.
Les relations d’amour et de reconnaissance envers ses parents l’habitent continuellement. Je souhaiterais dit-elle que tous les enfants de la terre aient le papa et la maman que le ciel dans sa bonté m’a donné.
Elle est heureuse de travailler pour tous les gens qui souffrent. A son père, elle écrit : mon cœur t’aime, il est reconnaissant de l’exemple que tu as donné à notre famille dans la joie et la tribulation. Travailler dur et ferme dans l’humilité et la modestie est le conseil de tante Jeanne sur son lit de mort.
Son affection pour l’ensemble des membres de la parenté ne s’estompe pas.
1934-1936
Madeleine est atteinte de tuberculose, ses forces baissent rapidement. La thérapeutique d’alors est inefficace et douloureuse. L’évolution se manifeste dans l’apparition d’une caverne pulmonaire, d’une pleurésie d’une péritonite et d’insupportables eschares. Elle est soignée à Blanzat (Auvergne) dans un home de la congrégation réservé aux malades. L’atmosphère n’est pas pure. Les fumées des usines Michelin l’a polluent et les habitants mal informés sur la santé des pensionnaires critiquent les sœurs étendues sur des chaises longues. Propos qui ne peuvent qu’être blessants pour les malades.
Elle fait face à la maladie, accepte progressivement toutes les souffrances et se soumet à la volonté divine. Dans les moments les plus pénibles elle se fortifie moralement en méditant cette parole : « le Seigneur ne t’envoie non seulement des souffrances physiques, du découragement, il se cache pour que tu cries au secours, ne m’abandonne pas ».
Le 16 juillet 1935, elle prononce ses vœux perpétuels. En janvier 1936, sa mère la visite et attend du Bon Dieu une guérison miraculeuse. Elle répond « je ne tiens à la guérison que si je peux servir et comme il faut ». Prions ensemble pour qu’il m’accorde la force d’abandon. Je ne revendique ni la santé, ni la maladie, mais tout ce que le Bon Dieu veut. Sachant qu’elle ne guérirait pas, elle disait « notre Seigneur me demande toujours d’avantage et je ne puis rien lui refuser, je me suis offerte en victime ». Malgré sa fatigue elle cherchait à faire plaisir aux autres.
La famille signifie pour elle un objet de continuel amour. Je vous aime seconde par minute.
Lors de la dernière visite de son père, elle avoue à sa supérieure avoir été plus souvent qu’à son tour chargée de lourds travaux ménagers de la communauté, après une journée harassante de travail au service des pauvres.
« Ne portez pas attention à ses propos, Monsieur le Professeur », dit sa supérieure, elle fabule. Non ma sœur, répond mon père, ce qu’elle dit est vraie, ce n’est pas un reproche, elle vous informe simplement de ce qui ne devrait pas se reproduire dans une communauté.
Une semaine avant sa mort, dans un sursaut de force dû à la grâce, elle descend à la chapelle, suit la cérémonie religieuse et chante les bras en croix.
Son dernier message, la veille de sa mort, est formulé avec une écriture hachée, à peine lisible « Mes parents chéris et toute la famille, ceux qui sont dans mon cœur, je vous embrasse tendrement. Mon cœur flanche, le ciel s’entrouvre. Je crois ».
Décès le 16 juillet 1936
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Ce texte demandé à Louis par Jean-François Nicod est un extrait de l’opuscule qu’il avait rédigé il y a quelques décennies sur sa sœur Madeleine.
Madeleine, après avoir pris conscience de sa vocation religieuse, a affronté tous les renoncements, les abandons, les vicissitudes de la vie dans la joie d’assister les pauvres, les soigner, les servir. Elle a été un rayon de convivialité dans sa communauté religieuse. Elle a maintenu sans discontinuité des relations d’amour avec sa famille.
Louis Nicod